Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Bonnes Nouvelles
Bonnes Nouvelles
Publicité
Archives
4 juillet 2004

Le naufrage du Titan (article de Bertrand MEHEUST, Professeur de philsophie)

Le naufrage du Titan

Quelques remarques sur la prophétie

De Morgan Robertson

Et sur la voyance en général

 

Bertrand Méheust

Professeur de Philosophie

LA FIN TRAGIQUE DU TITANIC, qui est en train de devenir la figure de l'hybris occidentale, s'alourdira d'un poids mythique supplémentaire quand tout le monde connaîtra l'histoire qui va être relatée.

 Le paquebot fonce à toute vapeur dans la nuit et le brouillard, quelque part au large de Terre Neuve, au mois d'avril. Pour battre le record de la traversée, au mépris de toute prudence. Le risque a été accepté: c'est qu'il s'agit d'un navire révolutionnaire, qui cristallise tout ce que la technique humaine a produit de plus avancé; notamment, ses caissons étanches sont censés le rendre insubmersible. En pleine nuit, la vigie signale un iceberg droit devant. Mais il est trop tard: le bateau heurte l'iceberg à pleine vitesse, et c'est la catastrophe.

 Le Titanic ?  Non pas, mais son précurseur imaginaire, le Titan, figure de l'hybris victorienne, inventée par l'écrivain américain Morgan Robertson. L'ouvrage fut publié aux Etats-Unis en 1989, soit 14 ans avant le naufrage du Titanic, sous le titre Futility, et réédité en 1912, l'année même du naufrage, sous le titre The Wreck of the Titan.

 Morgan Robertson, sur lequel nous reviendrons plus loin, a conçu son récit comme un pamphlet contre la volonté dominatrice de la technique en général, et de l'impérialisme britannique en particulier. Tous les détails de contexte sont campés pour rendre haïssable et futile cette volonté de puissance ce qui mène le monde, à toute vapeur, vers la catastrophe. Le Titan cristallise toute la technologie, tout le savoir-faire humain en matière de construction navale, il est le plus grand vaisseau jamais construit par l'homme, le plus puissant, le plus rapide, et aussi le plus sûr. Equipé de caissons étanches, il est présumé insubmersible. Ce géant a été conçu pour assurer par tous temps, en toutes saisons, la traversée de l'Atlantique Nord à une vitesse record. Au regard de cet argument publicitaire les deux risques possibles (le choc avec un autre navire, ou avec un iceberg) semblent un prix acceptable. En effet, si le navire heurte un autre navire, il le coupera en deux sans grand dommage, étant donné sa asse, et les assurances paieront; et s'il heurte un iceberg, il ne risque que des dégats mineurs, étant donné la conception révolutionnaire qui le rend insubmersible. C'est pourquoi la compagnie a donné comme consigne au capitaine de foncer dans le brouillard à toute vapeur. Pour les mêmes raisons on a négligé les canots de sauvetage: il ne se trouve à bord que vingt-quatre chaloupes susceptibles d'embarquer cinq cents personnes. Le navire a battu, lors de son voyage inaugural, le record de la traversée, au retour de New York. La consigne a été donnée de forcer les machines pour battre un nouveau record. Un premier drame se déroule au début du voyage, pendant la nuit: un petit navire est coupé en deux par le Titan, qui n'a pu l'éviter à cause de sa vitesse excessive. Mais le capitaine, qui obéit aux consignes de la compagnie, ordonne que l'on poursuive la route sans chercher à sauver les éventuels survivants. A cette heure tardive, le drame est passé inaperçu des passagers, mais il n'a pas échappé à quelques membres de l'équipage. Ces derniers sont convoqués dans le bureau du capitaine, qui achète leur silence. Mais l'un d'eux refuse ce marché. Il s'agit d'un ancien capitaine, qui déclassé, redevenu simple matelot à la suite d'une histoire d'amour qui l'a fait tomber dans l'alcoolisme. L'homme, qui n'a plus rien à perdre, veut racheter l'échec de sa vie par une action d'éclat. Panique du capitaine, qui finit par trouver le point faible: à ce témoin récalcitrant, on va fournir du whisky à volonté, pour qu'à l'arrivée en Angleterre, il ne soit plus qu'une loque incapable de témoigner. Pendant ce temps-là le Titan s'achemine à toute vapeur vers son destin. Pour éviter que Rowland, le témoin gênant, ne soit au contact des passagers, on l'a envoyé à l'avant du vaisseau. Là, quelques minutes avant la collision, on le voit discuter avec un officier du rafraîchissement subit de l'air, signe de la proximité de champs d'icebergs, dans une scène qui évoque irrésistiblement un moment intense du film de James Cameron (Titanic, 1998). Et ce qui suit ne l'évoque pas moins. Hurlement de la vigie: "Ice ahead. Iceberg, Right under the bows!". Manœuvre désespérée. Mais il est trop tard, le choc est inévitable; lancé à la vitesse de vingt-quatre nœuds, le géant glisse sur une sorte de plan de glace incliné, sa proue s'élève; puis il bascule et se couche sur le côté. Les chaudières explosent, entraînant dans une mort atroce tous ceux qui travaillent dans les soutes. Seulement deux barques pourront être mises à la mer. Le lendemain, la presse mondiale se déchaîne: l'invincible Titan, l'orgueil de la marine britannique, a coulé lors de sa troisième sortie, entraînant dans la mort presque tous ses passagers…

 Ce récit, évidemment, coupe le souffle, et on cherche d'abord à en savoir plus sur la personnalité de l'auteur. Ce qui n'est pas chose facile, car, comme il fallait s'y attendre, sa biographie s'est trouvée quelque peu auréolée de légende. Ainsi, la rumeur a couru qu'il était mort sur le Titanic ! Mais l'histoire, si l'on peut dire, est trop belle pour être vraie. Morgan Robertson est mort en 1915, soit trois ans après la catastrophe; et comme son roman a été réédité en 1912, l'année du Titanic, il a sans doute été questionné sur sa prophétie. C'est probablement à cette occasion qu'il s'est expliqué sur son procédé d'écriture. Robertson avait, semble-t-il, la particularité d'écrire parfois dans un état médiumnique. C'est dans un état de transe qu'il aurait eu la vision d'un navire gigantesque, sur la coque duquel figurait le nom Le Titan. Je livre cette information sous toute réserve, n'ayant pu la vérifier par moi-même, et parce que, si elle est exacte, elle a, selon toute vraisemblance, été obtenue de l'auteur après le naufrage du Titanic, ce qui permet de suspecter une réélaboration postérieure. Mais revenons-en à la vie de l'auteur. Morgan Robertson est né en 1861 à Oswego, dans l'Etat de New York. Dès l'âge de seize ans, après le lycée, il devient marin et travaille dans la marine marchande de 1877 à 1886. Par la suite, il trouve un emploi dans une bijouterie; mais des problèmes de vue l'obligent à abandonner ce travail et à se consacrer à l'écriture. Il devient un spécialiste de la nouvelle et du roman maritimes. Bien qu'autodidacte, il possède une solide culture, et une puissante capacité d'expression et de réflexion, dont témoignent ses écrits. C'est visiblement un marginal, un homme révolté contre la société de son temps, qui passera toute sa vie dans les difficultés matérielles, et, à ce propos, il semble que Rowland, le personnage principal de Futility, soit en partie autobiographique. Une certaine reconnaissance lui viendra sur le tard, avec la publication de ses œuvres complètes, alors qu'il est devenu presque aveugle. On le trouvera mort dans un hôtel miteux d'Atlantic City, le 24 mars 1915, assis dans un fauteuil faisant face à la mer.

 Essayons d'interroger ce qui est donné par l'éditeur comme une prophétie. Il y a au moins une hypothèse que l'on peut exclure d'emblée, c'est que les constructeurs du Titanic se seraient inspirés du roman de Robertson pour nommer leur navire ! Ceux qui savent à quel point les milieux maritimes sont superstitieux souriront de cette idée saugrenue. De toute évidence, les constructeurs du Titanic n'ont jamais entendu  parler du roman de Robertson, dont l'auteur, à la fin du siècle, reste à peu près inconnu. Et s'ils en avaient entendu parler, ils auraient appelé leur navire autrement. S'il y a une explication simple, il faut la chercher ailleurs.

 La "prophétie" de Robertson semble encore plus frappante quand on récapitule les circonstances des deux naufrages, et les ressemblances entre le Titanic d'acier et son doublon imaginaire.

1)       Les noms des navires.

2)       Les cause lointaines, psychologiques et culturelles, du drame: l'orgueil technicien fausse le jugement; on fonce dans le brouillard pour battre un record, au mépris des règlements et de la pludence la plus élémentaire.

3)        Les lieux: l'Atlantique nord, au large de Terre Neuve. L'époque de l'année: une nuit d'avril. La cause immédiate: la collision avec un iceberg. La cause des pertes humaines: le manque de chaloupes de sauvetage. Et la coïncidence est encore plus frappante quand on prend en compte les caractères techniques des deux navires.

 


Le Titan

Le Titanic

Passagers et équipage

3 000

2 207

Chaloupes

24

20

Tonnage

75 000

66 000

Longueur (mètres)

240

228

Vitesse de l'impact (nœuds)

25

23

Hélices

3

3

 
Mais regardons-y de plus près. Robertson, qui, on l'a vu, a été marin, est solidement documenté. Aussi, quand il décrit le Titan, il utilise les projets techniques de son temps. Le Titan incarne le sommet de la technologie de 1898, le sommet de la démesure réalisable; probablement mis en chantier quelques années après la publication du roman, vu les délais de construction, le Titanic concrétise les plans des ingénieurs de la fin du XIXè siècle. L'affaire des chaloupes manquantes, si frappant à première vue, l'est moins quand on se dit qu'assez vraisemblablement c'était une pratique de l'époque de n'embarquer que le nombre de canots de sauvetage exigé par la loi, pour gagner de la place, et que cette pratique a été relevée et stigmatisée dans le cas du Titanic, tout simplement parce qu'il y a eu naufrage. Que le vaisseau soit britannique n'a rien d'étonnant; à l'époque de Victoria l'Angleterre est la première puissance mondiale et domine les mers. D'autre part, où mettre en scène un vaisseau si révolutionnaire, si ce n'est sur la ligne de l'Atlantique nord, où le trafic est le plus important? Et comme l'iceberg est le seul obstacle capable de venir à bout d'un navire présumé insubmersible, comme d'autre part il incarne au mieux, face aux entreprises futiles des hommes, la permanence de l'implacable réalité cosmique, il faudra que le Titan heurte un iceberg. De ce fait, la rencontre fatale ne pourra avoir lieu qu'au large de Terre Neuve; de nuit, pour fournir l'absence de visibilité; et au mois d'avril, parce que c'est l'époque où les icebergs se détachent de la banquise. Que, par ailleurs, sur le pont du Titanic comme sur le pont du Titan, on ait discuté, quelques minutes avant la catastrophe, du refroidissement de l'atmosphère imputable à d'éventuels icebergs, est précisément ce à quoi on doit s'attendre puisque les icebergs n'ont pas pour propriété connue de réchauffer l'atmosphère. Reste un point intrigant, le nom des deux vaisseaux. A première vue la coïncidence est si frappante qu'elle nous fait changer d'ordre de probabilité, et semble accréditer la thèse de la prophétie. Pourtant, quand on y réfléchit, on reste ici encore dans les limites de la simple raison - même si c'est, pour plagier le capitaine Haddock, aux bords de ses limites. En effet, c'est l'imaginaire de l'hybris qui meut la catastrophe imaginaire comme la catastrophe réelle; et, pour incarner l'hybris prométhéenne, quoi de plus indiqué qu'un Titan ?

 C'est ici le lieu d'examiner un point particulièrement intrigant, qui semble nous mener aux portes de la voyance, à savoir l'état médiumnique dans lequel l'auteur aurait entrevu le Titan. N'a-t-on pas alors affaire à la vision d'un événement futur captée à la faveur de la transe ? Ce nouvel élément est troublant; mais, à supposer que ce récit soit fiable, il ne permet toujours pas d'enlever la décision, de façon nette, en faveur de la voyance prophétique; il prouve seulement que l'auteur, dans son état second, a su capter l'imaginaire de l'hybris qui travaillait son temps, qu'il a su l'incarner, aller jusqu'au bout de sa logique. Cela impliquerait , en quelque sorte, une harmonie préétablie, entre l'imaginaire capté et mis en scène par l'auteur, et l'imaginaire qui a poussé tous les acteurs de la catastrophe aux imprudences que l'on sait. Ce qui nous semble relever de la voyance ne serait, dans le cas qui nous concerne, rien d'autre qu'un processus de mise en récit, qui s'exprimerait, à la fois dans la création de fictions, et dans la réalité concrète, chez tous les acteurs involontaires du drame de 1912. Si la fiction mythique est modelée par les contraintes du réel, la réalité historique, en retour, serait structurée par la fiction. Ce qui nous semble relever d'une accumulation hautement improbable de coïncidences serait mû par cette logique sous-jacente.

 Arrivé à ce point, une petite parenthèse s'impose. A la fin du XIXè siècle, où la question des recherches psychiques attire des esprits pénétrants, un des thèmes de discussion qui revient souvent est de trouver les critères qui permettent de distinguer la voyance, au sens fort, de ses contrefaçons, au sens intentionnel comme au sens non intentionnel du terme. Le but de ces discussions n'est pas, comme on ne manquerait pas de le faire aujourd'hui, de jeter la voyance aux orties, de la réduire intégralement, mais de commencer par déblayer ce qui passe indûment pour de la voyance. A ces fins on recense systématiquement les conditions, avérées ou plausibles, dans lesquelles des expériences psychiques peuvent se donner de façon irrésistible, pour ceux qui les vivent comme pour ceux qui les étudient, comme relevant de la voyance. Certains chercheurs sont allés très loin dans ce sens, comme Nicolas Vaschide ou Julian Ochorowicz. Pour rendre compte d'une partie des récits où la voyance semble impliquée, ils avaient forgé le concept auquel j'ai eu recours plus haut, celui de "l'harmonie psychique préétablie". Pour prendre un exemple simple, il y a harmonie psychique préétablie quand deux personnes qui se connaissent se trouvent en même temps exprimer des contenus mentaux analogues, ce qui donne l'impression d'une communication de pensée alors qu'il y a seulement développement parallèle d'une même logique, à partir d'un terrain d'expérience commun. En déblayant ainsi le terrain, les métapsychistes voulaient dessiner avec plus de netteté ce que l'on devait attendre d'une expérience pour que l'hypothèse de la voyance faible par préharmonie psychique puisse être exclue radicalement. A tort ou à raison (mais, à mon avis, à raison), ces chercheurs affirmaient avoir réussi de telles expériences. J'en donnerai deux exemples.

 En 1925 le prix Nobel Charles Richet expérimente à l'Institut métapsychique sur un sujet, le fameux Ludwig Khan, dont la spécialité est de lire un texte écrit dans un billet plié en huit, scellé par la gomme, et serré dans la main de l'expérimentateur. Toutes les précautions concevables semblent avoir été prises, et la cryptesthésie paraît incontestable, mais le biologiste est néanmoins pris d'un doute: il se demande si le nombre des observateurs, se gênant mutuellement, au lieu de favoriser le contrôle, n'aurait pas au contraire contribué à le desserrer: et, pour en avoir le cœur net, il convoque Ludwig Kahn chez lui, afin de le tester seul à seul, dans le silence de son cabinet de travail. L'expérience est simple. Il interdit au voyant de l'approcher à moins de deux mètres, lui demande de passer dans une autre pièce, et, seul dans sa bibliothèque, il écrit quatre phrases sur quatre papiers différents, qu'il plie en huit. Il met l'un des billets sous un cahier posé sur son bureau, il brûle entièrement le second à l'aide d'une allumette, et tient les deux autres pliés dans ses mains fermées. Le métagnome est invité à entrer, à se tenir environ à deux mètres, et à ne pas approcher davantage. Sans hésiter, Ludwig Kahn donne le texte tenu dans la main gauche (Virgilius Maro), celui tenu dans la main droite, moyennant une faute (Vérité aux Parénées au lieu de Vérité aux Pyrénées); celui qui se trouve sous le cahier (En avant); celui, enfin qui se trouvait sur le papier brûlé, mais après une courte hésitation (Shocking). A aucun moment Ludwig Kahn n'a touché les papiers, ni eu de contact avec l'expérimentateur. L'expérience est renouvelée par Madame Richet, sous la surveillance de son mari, avec les mêmes précautions. Les quatre textes sont écrits pendant que le sujet se trouve dans la pièce voisine; l'un d'eux est réduit en cendres. Ludwig Kahn lit les textes: La modestie rehausse le talent; le silence est d'or; le chien est l'ami de l'homme. Il hésite, à nouveau, pour le billet brûlé, puis donne le texte avec une petite erreur: Qui veut voyager loin ménage sa mouture (au lieu de monture). Pour Charles Richet il n'y a pas de tour possible, étant donné les conditions de l'expérience, la cryptesthésie est donc ici indiscutable. L'idée que Ludwig Kahn aurait pu restituer des textes si improbables par "harmonie psychique préétablie" paraît inacceptable. En effet, chacun de ces textes, pris séparément, semble déconnecté de tout cheminement commun entre les deux hommes, qui ne se connaissaient pas. Que Ludwig Kahn ait réussi, huit fois de suite, à capter ces textes improbables nous arrache à l'hypothèse de la voyance faible, car aucune logique ne les relie entre eux - sauf, peut-être, qu'ils appartiennent au répertoire des proverbes et des sentences. Des esprits exigeants feront peut-être remarquer qu'il y a ici une esquisse de logique, et que le métagnome pourrait avoir eu l'intuition que c'est dans ce répertoire qu'il fallait piocher. L'objection me semble faible, car Charles Richet n'a évidemment annoncé les résultats qu'après la série des épreuves; et, quand bien même il aurait commis l'erreur de les annoncer les uns après les autres, et à supposer que le premier succès ait suggéré à Ludwig Kahn de viser le répertoire des proverbes, de là à tomber sur "Virgilius Maro" ou sur "Vérité aux Pyrénées", et à réussir ce coup de chance huit fois de suite, il y a, on en conviendra, un abîme ! Mais enfin, admettons que les Richet ont commis une erreur en prenant leurs phrases-cibles dans le registre des sentences, et prenons l'exemple d'un autre voyant réputé, le fameux Ossowiecki. Par exemple, parmi bien d'autres expériences de ce genre, on remet à Ossowiecki un papier glissé dans un tube de plomb. Les parois du tube ont trois centimètres d'épaisseur, et son ouverture est obturée par une soudure. Aucune des trois personnes qui assistent à l'expérience ne sait ce qu'il y a dans le tube. Ossowiecki dit: "Un dessin, un homme qui a de grandes moustaches. Pas de nez. Il a un habit militaire. Il ressemble à Pilzudski. Cet homme n'a peur de rien, c'est comme un chevalier". C'est exactement ce que représente ce dessin, et, en dessous, il y a la légende suivante: Le chevalier sans peut et sans reproche. Charles Richet remarque qu'invoquer le hasard ou la supercherie dans une telle expérience est absurde.

 Or, la prophétie de Morgan Robertson ne nous offre rien de comparable. Il n'y a rien, parmi les coïncidences qui ont été examinées, y compris le nom des navires, qui ne relève du déploiement d'une logique imaginaire croisée à des contraintes du réel.

 Si mon raisonnement est exact, la "prophétie" de Morgan Robertson, aussi étonnante soit-elle, n'est donc qu'un cas apparent de prophétie; elle relève du développement d'un même imaginaire, à la fois dans la fiction, et dans la réalité vécue; elle relève de la "voyance faible" et non de la "voyance vraie". Ou plutôt, faute de pouvoir, de façon irréfutable, arracher cette coïncidence au registre de la voyance faible, nous devons, par économie, considérer qu'elle en illustre les processus.

 Une remarque pour conclure. Pour la pusillanimité qui caractérise le monde intellectuel d'aujourd'hui, il va de soi que tous les faits allégués doivent pouvoir se réduire au registre de la voyance faible, et que c'est déjà un manque de savoir-vivre épistémologique, une marque de goujaterie, que d'envisager la simple possibilité de la voyance forte, ou vraie. L'anthropologie, pour ne pas avoir à aborder ce point, a développé des stratégies d'évitement dont la stabilité ne cesse de croître. Ce n'est pas du tout dans cet esprit de réduction masquée que j'ai examiné la prophétie de Morgan Robertson. Je tiens au contraire qu'il y a des faits de voyance forte, même si ces faits sont rares: et que l'hypothèse de la voyance forte est indispensable pour dynamiser la pensée, pour lui éviter de se clore sur elle-même. L'hypothèse de la voyance vraie fournit à la réflexion une sorte de cas de figure limite, un horizon, sur le fond duquel se découperont, deviendront visibles, des processus mentaux comme celui que nous venons d'examiner.

Bertrand MéHEUST Professeur de Philosophie

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité